Le paysage de l'adoption crypto est passé d'une innovation optionnelle à un impératif stratégique. Avec la réglementation MiCA et les jeunes générations qui s’intéressent fortement aux actifs numériques, les banques font face à un choix : s'adapter à ce nouveau paysage ou prendre le risque de l'obsolescence.
23% des Français sont prêts à changer de banque si leur établissement actuel propose des services de cryptomonnaie. Parallèlement, les jeunes générations alimentent l'adoption crypto, avec 57% des détenteurs actuels qui ont moins de 35 ans. Ces données de l'ADAN (Association pour le Développement des Actifs Numériques) révèlent un changement fondamental dans les attentes des clients des banques dites traditionnelles.
Si aujourd'hui 64 banques européennes proposent des services crypto, sont-elles bien outillées pour accompagner l’évolution d’un marché des cryptomonnaies qui devrait atteindre 47,2 milliards de dollars d'ici 2032 ? Pourront-elles accompagner l'évolution de la crypto d'une offre de niche vers un service bancaire essentiel ?
Sortir du brouillard réglementaire
Le 30 décembre 2024 marque une date essentielle pour l’écosystème crypto européen : la réglementation Markets in Crypto-Assets (MiCA) est devenue pleinement effective dans toute l'Union. Ce cadre réglementaire sort les cryptomonnaies d'une zone grise réglementaire pour les constituer comme un service financier clairement défini.
« Avec MiCA, les banques bénéficient d'une procédure simplifiée », explique Alexandre Eich Gozzi, expert en solutions crypto bancaires chez Sopra Steria. « Les banques peuvent désormais obtenir l'agrément PSAN (Prestataire de Services sur Actifs Numériques), qui leur permet d'opérer des services crypto dans toute l'Union européenne. Une fois l'agrément obtenu, il est valable pour l'ensemble du marché européen. »
La réglementation crée une urgence concurrentielle par son calendrier de mise en œuvre. Alors que les dispositions relatives aux stablecoins sont devenues actives le 30 juin 2024, les périodes transitoires se terminent le 1er juillet 2026. Les banques exploitant les licences existantes via les procédures de notification de l'Article 60 peuvent établir des services crypto en 40 jours plutôt que de poursuivre une autorisation CASP complète : un avantage concurrentiel significatif en termes de time-to-market.
Pour les banques traditionnelles, MiCA représente plus qu'une conformité réglementaire ; c'est un passeport vers le marché unique européen pour les services crypto. Comme le note Alexandre : « Revolut, avec une autorisation, peut servir tous ses clients européens. Donc une fois l'autorisation obtenue, elle est valable pour tout le marché. »
Génération crypto : le moment décisif pour les banque
L'argument le plus convaincant pour l'adoption crypto n'est pas réglementaire : il est démographique. Les recherches révèlent que 42% de la Gen Z possède des cryptomonnaies comparé à seulement 11% disposant d’un compte retraite, tandis que 36% des Millennials détiennent des crypto-actifs. Combinées, ces générations constituent 94% de tous les acheteurs de crypto, représentant un changement existentiel dans les attentes des clients.
Et quand on se penche sur la fidélité des clients, l’urgence apparaît encore plus clairement. 10% des Français possèdent aujourd’hui des cryptomonnaies, et les plus jeunes d’e,tre eux expriment une volonté d'abandonner les relations bancaires traditionnelles pour des alternatives. La décision de BPCE de proposer des services crypto à ses 35 millions de clients d'ici fin 2025 reflète notamment une reconnaissance de cette nouvelle donne.
« Si vous ne voulez pas perdre les jeunes générations, vous êtes forcés d'y aller d'une façon ou d'une autre », souligne Alexandre. « Pour la banque de détail pure, la crypto sera dans cinq ans une commodité que tout le monde proposera. »
Les données soutiennent cette prédiction. La division Wealth de Revolut (incluant la crypto) a généré 506 millions de livres de revenus, avec le trading de cryptomonnaies représentant spécifiquement 32% du profit total. De tels chiffres démontrent que les services crypto ne sont pas seulement des outils d'acquisition client mais des générateurs de revenus significatifs.
Au-delà de l'Europe : dynamiques concurrentielles mondiales
Alors que l'Europe mène avec la clarté réglementaire, les développements mondiaux renforcent l'importance stratégique de la crypto. Les politiques crypto-friendly de l'administration Trump ont accéléré le développement du marché américain, avec des banques traditionnelles comme JPMorgan traitant plus de 2 milliards de dollars quotidiennement via leur plateforme Onyx utilisant JPM Coin.
La révolution des stablecoins illustre cette dynamique mondiale. Leur circulation a dépassé 220 milliards de dollars et l'IPO de Circle, l’entreprise de paiement peer-to-peer gérant la cryptomonnaie stable USDC valorisée à 44 milliards de dollars, démontre la validation institutionnelle de l'infrastructure crypto.
« Il y a une annonce chaque semaine d'une grande entreprise mondiale qui annnnonce créer un stablecoin », observe Alexandre. « Circle a été introduite à une valorisation de 7 milliards de dollars et est montée à 58 milliards en une semaine, juste parce que la réglementation s'aligne et qu'une disruption financière massive se produit. »
Le risque concurrentiel de l'inaction
Les banques hésitant à embrasser la crypto font face à des pressions concurrentielles croissantes. Les banques digital-native comme Revolut et N26 ont établi des offres crypto, tandis que les plateformes crypto-native proposent de plus en plus de services bancaires traditionnels. Cette convergence crée un mouvement en tenaille menaçant les banques traditionnelles des deux côtés.
Le coût du retard s'étend au-delà de l'acquisition client. Les délais de mise en œuvre pour un développement interne vont de 18 à 36 mois avec des coûts dépassant 1,5 million d'euros, comparé à des déploiements basés sur des partenariats qui prennent en moyenne six mois. « Aujourd'hui, les banques peuvent développer une offre crypto en six mois en utilisant des approches partenariales comme celle sur laquelle nous avons travaillé », confirme Alexandre Eich Gozzi.
De la nécessité à l’opportunité
Le défi d'intégration est significatif mais gérable. Les banques ont besoin de trois capacités centrales : une infrastructure de stockage crypto, des outils de conformité réglementaire et un accès à la liquidité marché. Les approches partenariales peuvent fournir ces capacités sans nécessiter le développement d'expertise interne.
« Une banque lançant des services crypto aujourd'hui a besoin d'outils spécialisés qui sont bien réglementés », explique Alexandre Eich Gozzi. « Il y a des outils pour scanner les transactions pour la conformité anti-blanchiment et le financement du terrorisme. Contrairement aux idées reçues, la crypto est extrêmement traçable : tout est tracé, sauvegardé, stocké. »
Une raison supplémentaire d’établir que la crypto va à l’avenir faire partie de la diversification des investissements pour le client moyen : « Pour la banque de détail, je pense que cela ser similaire à avoir un compte-titres, un PEA ou une assurance-vie », conclut Alexandre. « Tout le monde n'y souscrira pas, mais la possibilité sera là. Et on aura une intégration pleine et entière au système financier traditionnel. »
La question n'est pas donc plus de savoir si les banques devraient proposer des services crypto, mais à quelle vitesse elles peuvent les déployer de manière concurrentielle. Dans une industrie où les relations client s'étendent sur des décennies, perdre les jeunes générations au profit de concurrents crypto-natifs pourrait s'avérer fatal. Le temps de l'expérimentation est révolu : l'ère de la banque crypto a commencé.