Avec l’appui d’une feuille de route IA axée sur l’opérationnel, Deutsche Bahn affiche des objectifs ambitieux pour améliorer sa fiabilité et son efficacité dans les années à venir, explique
le Dr Bernd Peper, directeur du secteur public chez Sopra Steria Next Allemagne.
L’innovation technologique au service du rail
Depuis toujours, les compagnies ferroviaires utilisent les nouvelles technologies pour améliorer leurs opérations et leurs performances. L’arrivée de l’intelligence artificielle (IA) ne fait pas exception. L’IA,
et plus particulièrement l’intelligence artificielle générative (GenAI), permet d’optimiser la planification et les performances tout au long de la chaîne de valeur.
Des chiffres issus d’une étude récente menée par l’UIC (Union Internationale des Chemins de fer) et McKinsey illustrent clairement ce potentiel : les compagnies ferroviaires dans le monde pourraient économiser
entre 13 et 22 milliards de dollars par an grâce à l’IA. Une autre étude intitulée « Navigating the AI Era » de Sopra Steria Next souligne le fait que les experts estiment que le marché mondial de
l’IA représentera 10 % des dépenses IT mondiales d’ici 2028, avec une croissance trois fois plus rapide que celle du marché technologique global.
L’utilisation de l’IA dans le rail européen
Un regard au-delà des frontières offre déjà des exemples concrets de la valeur ajoutée de l’IA dans le transport ferroviaire européen. Chez SBB AG en Suisse, par exemple, des prévisions de la demande
sont élaborées grâce à l’IA pour adapter le nombre de wagons nécessaires. La société utilise aussi l’IA pour modéliser les trajets et calculer avec précision les temps de parcours
et les vitesses.
En France, chez SNCF AG, une solution d’IA permet de mieux gérer les capacités des TGV et donc d’optimiser les revenus générés. Le groupe travaille également sur la performance cognitive du personnel
qui sera aussi analysée à l’aide de l’IA, en mesurant mouvements oculaires, transpiration et rythme cardiaque pour détecter stress et fatigue et ainsi réduire les accidents.
Deutsche Bahn a déjà intégré l’IA dans de nombreux domaines, comme la plateforme de feedback Railmate, l’optimisation des capacités de circulation et d’infrastructure (avec l’aide du ‘peak
spotting’ pour identifier les pics de demande) et la prévision des retards.
Avec le plan de transformation S3 lancé en septembre 2024, Deutsche Bahn s’est engagée dans une restructuration visant plus de ponctualité, de fiabilité et de rentabilité. La transformation numérique et
l’intégration ciblée de l’IA peuvent renforcer ces ambitions, et l’essor de la GenAI ouvre encore de nouvelles opportunités. Pour en tirer parti de manière structurée, DB Fernverkehr AG, une division
de Deutsche Bahn, a élaboré un plan d’action méthodique pour identifier les futurs champs d’action en matière d’IA.
Comprendre le marché et la concurrence
La première étape a consisté à mieux comprendre le marché et les usages actuels de l’IA. Pour cela, l’entreprise a étudié de près les cas d’usage d’acteurs variés,
de Rolls-Royce à Deutsche Bank en passant par Unilever et Coca-Cola.
Ces cas ont été analysés selon leur apport potentiel pour DB Fernverkehr, en termes de ponctualité, d’efficacité ou de satisfaction client. Douze concurrents du secteur de la mobilité ont également
été passés en revue pour identifier les solutions à fort potentiel créatrices de valeur.
Cette analyse a permis d’identifier huit grands champs d’action de l’IA globaux : efficacité opérationnelle, orientation client, développement logiciel de nouvelle génération, ressources humaines, analyses
prédictives, gestion des connaissances, gestion des données et cybersécurité.
Hiérarchiser les domaines d’action pertinents pour le ferroviaire
Même si ces champs d’action présentent un fort potentiel dans de nombreux secteurs, il était essentiel de définir ceux qui sont réellement applicables et générateurs de valeur dans le ferroviaire.
Une seconde étape a donc consisté à cibler les besoins spécifiques du secteur ferroviaire, via des entretiens avec des experts de la recherche et de l’industrie, ainsi que des échanges avec des partenaires internes
et externes. L’objectif : identifier d’abord les cas d’usage les plus pertinents à court terme (24 à 36 mois).
Ces résultats ont permis d’établir une liste de recommandations ciblant les domaines IA les plus pertinents pour le secteur ferroviaire, selon des indicateurs clés tels que la ponctualité, la qualité, l’EBIT
ou la satisfaction client.
Parmi les domaines d’action ainsi dégagés, on trouve par exemple :
- La planification automatisée (efficacité opérationnelle) : pour améliorer la ponctualité et accélérer les prises de décision grâce à l’IA.
- La maintenance prédictive (analyses prédictives) : pour permettre de planifier précisément les interventions sur trains, voies, aiguillages et signaux, et de réduire à la fois les coûts,
les pannes et les ressources gaspillées.
- La création automatisée de contenus marketing (orientation client) : l’IA, en s’appuyant sur les données des publics cibles et les tendances, peut générer des textes, images et vidéos
adaptés, accélérant la production et la personnalisation du contenu.
Du champ d’action au déploiement à l’échelle de l’entreprise
Le programme IA pour le transport longue distance travaille actuellement avec les départements métiers à l’identification de cas d’usage concrets et réalisables. Une approche holistique est ici essentielle, intégrant
faisabilité, bénéfices techniques et contraintes réglementaires.
Pour chaque champ d’action (comme la maintenance prédictive), un cadre technique commun est défini, pour éviter les solutions isolées, démanteler les silos et favoriser la coordination entre services métiers,
IT et IA.
Créer les conditions favorables au déploiement
La réussite du déploiement à grande échelle passe par :
- Des responsabilités et processus clairement définis
- Une gestion et une mise en œuvre efficaces
- Le respect du RGPD
- Une gestion optimale de données fragmentées
- Une amélioration continue de la qualité des données
- La mise en place de standards techniques homogènes
- La formation des collaborateurs
Lorsque ces conditions sont réunies, l’IA permet d’optimiser les processus, de développer de nouveaux modèles économiques et de renforcer la compétitivité.
Une nouvelle ère technologique
Avec l’IA et la GenAI, les entreprises ferroviaires entrent dans une nouvelle ère technologique, propice à des gains substantiels en matière d’efficacité, fiabilité et satisfaction client. En se concentrant
sur des priorités claires telles que la maintenance prédictive, la planification automatisée ou la création de contenu ciblé, elles peuvent créer de la valeur sur toute la chaîne de production. Une approche
globale, alliant faisabilité, collaboration interdisciplinaire et capacité de mise à l’échelle, sera décisive pour y parvenir. Si elle est mise en œuvre de manière durable, l’IA permettra
non seulement d’améliorer l’efficacité opérationnelle, mais aussi de renforcer la compétitivité dans un marché de la mobilité en pleine mutation.