Comment le calcul quantique pourrait révolutionner la gestion actif-passif des banques ?

par Mung Ki Woo - Directeur des Opérations - Services Financiers
par Marine Lecomte - Responsable des offres et des innovations pour les services financiers
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La gestion actif-passif (ALM) est au cœur de la stratégie financière des banques. En effet, son objectif est d’assurer l’équilibre entre les ressources (les dépôts des clients) et les emplois (les crédits accordés). Cette gestion est effectuée à l’aide de modèles mathématiques en général sophistiqués. Or, la remontée brutale des taux d’intérêt en 2022 et 2023 a montré les limites des modèles actuels, causant parfois des centaines de millions d’euros de pertes pour certains établissements. 

Face à ce défi, le calcul quantique pourrait bien apporter une réponse novatrice. Capable de traiter des combinatoires complexes rapidement, il pourrait offrir aux banques qui l’expérimentent un avantage concurrentiel décisif. 

L’ALM, un enjeu fort mais dont les modèles actuels ont déjà montré des limites  

Les modèles mathématiques d’ALM sont essentiels pour une banque afin d’anticiper les risques de taux, de liquidité et de crédit. Ils permettent de sécuriser le bilan, d’optimiser la rentabilité et de respecter les contraintes réglementaires en simulant différents scénarios de marché. Cependant, leur capacité à prévoir des chocs inattendus reste limitée, comme l’a montré la remontée brutale des taux d’intérêt en 2022-2023 dans un contexte inflationniste. Cette situation a profondément déséquilibré les bilans bancaires. 

  • Côté épargne : certaines banques françaises ont vu s’évaporer des milliards d’euros de dépôts en l’espace de quelques mois. Selon la Banque de France, en 2023, le flux net de placements des ménages a chuté à 109,5 milliards d’euros, en forte baisse de 56,5 milliards par rapport à 2022. Cette baisse s’expliquait en grande partie par une décollecte massive sur les dépôts à vue, contrastant avec la forte accumulation observée les années précédentes. En effet, les clients ont privilégié des placements mieux rémunérés (Livret A, assurance-vie) au détriment des comptes courants. 
  • Côté crédits : les remboursements anticipés de prêts ont diminué, car solder un crédit à taux bas perdait tout intérêt dans un environnement de taux élevés tandis que le volume de demandes de nouveaux crédits se tarissait brutalement. 

Face à cette dynamique, les banques ont dû trouver de nouvelles sources de financement sur les marchés, souvent plus coûteuses, tout en accentuant la concurrence entre elles avec l’objectif de capter ou seulement de conserver les dépôts de leurs clients. La hausse des taux a aussi renchéri le coût des dépôts clients. 

Surmonter les limites actuelles : Le potentiel du calcul quantique en ALM 

L’ALM actuel repose sur des modèles mathématiques avancés et divers algorithmes pour analyser l’équilibre entre actifs et passifs d’une institution financière. Il s’appuie sur des hypothèses de marché, des projections économiques et des simulations de scénarios pour anticiper les risques liés aux taux d’intérêt, aux liquidités ou aux variations de valeur des instruments financiers. 

Le modèle de Black-Scholes est par exemple couramment utilisé dans le cadre de l’ALM. Il permet d’évaluer la valeur des options et des produits dérivés en fonction de paramètres clés : prix du sous-jacent, volatilité du marché et temps avant l’échéance. Sur la gestion actif-passif, il aide spécifiquement à anticiper l’impact des fluctuations de marché sur les produits financiers sensibles aux variations des taux. Par exemple, lors d’une analyse de scénario simulant un choc économique ou une forte variation des taux, Black-Scholes permet d’évaluer l’évolution des options détenues par une banque et d’adapter sa gestion des risques. 

Le modèle peut être résolu par différentes méthodes, dont les simulations Monte Carlo. Des études, dont une récente de février 2025, ont montré des résultats prometteurs sur un avantage potentiel de l’utilisation du quantique dans le cadre de ces algorithmes. En exploitant l’intrication, la superposition et les interférences, il accélère les simulations en traitant plusieurs scénarios en parallèle, améliorant ainsi l’échantillonnage aléatoire et réduisant le nombre de simulations nécessaires. 

L’essor de l’informatique quantique ouvre ainsi des perspectives très intéressantes pour l’ALM. Car le calcul quantique repose sur des principes radicalement différents de l’informatique classique. Les ordinateurs quantiques peuvent traiter simultanément un grand nombre de solutions possibles à un problème donné. 

Dans le cadre de l’ALM, cela apporte les avantages suivants : 

  1. Gestion de la combinatoire complexe : Les modèles ALM doivent intégrer de nombreux facteurs explicatifs, incluant des variables de marché, des comportements clients et des contraintes réglementaires. Le calcul quantique permettrait de considérer simultanément des millions de scénarios différents.
  2. Amélioration des simulations : Le calcul des simulations de scénarios, longs avec des ordinateurs classiques, pourrait être considérablement accéléré grâce aux algorithmes quantiques. Aujourd'hui, modifier une variable peut nécessiter des heures de calcul sur des systèmes traditionnels.
  3. Prédiction des comportements clients : Les banques pourraient mieux anticiper les mouvements de dépôts ou les décisions d’investissement, en fonction des évolutions de marché ou de contexte géopolitique, en intégrant davantage de données en entrée, par exemple des modèles comportementaux complexes. A ce titre, le modèle de bancassurance, largement prédominant en France, constitue un vecteur de complexité additionnelle quant à la modélisation des transferts d’encours entre le « bilan bancaire » et le « bilan assurantiel ». 

Ainsi, la technologie quantique pourrait permettre d’optimiser les modèles ALM et de mieux anticiper les crises potentielles, et surtout les stratégies à adopter pour y répondre. 

Une démarche progressive pour intégrer le quantique dans les modèles existants 

La transition vers un modèle ALM fondé sur le calcul quantique ne se fera toutefois pas du jour au lendemain. En effet, la technologie, bien que prometteuse, reste immature. De plus, les coûts de formation et d’intégration restent élevés. Enfin, les modèles bancaires sont complexes à adapter, et leur traduction en algorithmes quantiques représente un enjeu clé. 

Dans ce contexte, une démarche en 3 phases est recommandée pour les banques qui souhaiteraient se lancer dans une démarche quantique : 

  1. Phase d’expérimentation : Comparer les algorithmes quantiques à des simulations existantes, par exemple Monte Carlo, afin de comparer la rapidité et la précision des résultats.
  2. Enrichissement des modèles : Intégrer progressivement des données comportementales et des variables supplémentaires (profils clients, seuils de sensibilité, etc.).
  3. Intégration complète : Une fois la maturité technologique atteinte, intégrer les algorithmes quantiques dans l’ensemble du modèle ALM pour améliorer la réactivité et prévenir les chocs de liquidité. 

Nous proposons d’accompagner les banques dans l’adoption du quantique dans l’ALM 

L’intégration du quantique dans l’ALM ne se limite pas à une simple question de puissance de calcul. Elle implique une compréhension fine des problématiques métier, ainsi qu’une traduction précise de ces défis en algorithmes quantiques concrets. 

Sopra Steria souhaite aider les banques à : 

  • Identifier les problématiques métier adaptées au quantique : Grâce à une expertise métier approfondie, Sopra Steria propose d’accompagner les institutions financières dans la détection des véritables points de friction pouvant bénéficier des capacités du quantique. 
  • Traduire les défis en algorithmes opérationnels : Nos experts collaborent avec les équipes des banques pour concevoir des solutions adaptées, en tenant compte des contraintes réglementaires, économiques et technologiques propres à l’industrie. 
  • Profiter d’un écosystème de partenaires : Grâce à un réseau de partenaires technologiques de pointe, Sopra Steria offre aux banques un accès privilégié aux dernières avancées en matière de calcul quantique, tout en assurant une intégration fluide avec les systèmes existants. 

Conclusion : anticiper les défis de demain 

Bien que l'inflation semble aujourd'hui s'être stabilisée et que les changements brutaux sur les taux semblent derrière nous, d'autres crises économiques pourraient survenir, notamment en raison des tensions géopolitiques actuelles. Dans ce contexte, la gestion actif-passif (ALM) reste un enjeu crucial pour les banques : chaque petite amélioration peut se traduire par des impacts financiers considérables, souvent en dizaines voire en centaines de millions d’euros dans le contexte récent d’inflation et de remontée des taux.  

Dans ce contexte, continuer d’optimiser les modèles est nécessaire ; ce qui rend l’exploration du calcul quantique particulièrement pertinente. L’explorer dès maintenant, avant même qu’il n’ait atteint son plein potentiel, c’est être prêt à en récolter les bénéfices dès que possible. 

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