L’Europe fait aujourd’hui face à un impératif stratégique : mobiliser des sources de financement multiples, dans un contexte géopolitique instable. Elle souffre d’un déficit chronique d’investissement dans plusieurs secteurs clés.
Parmi eux, la défense s’impose comme une priorité croissante pour les États membres, qui cherchent désormais à en définir les modalités de financement.
Autre enjeu majeur : l’investissement dans les entreprises, indispensable à la compétitivité européenne et à sa meilleure indépendance économique. Le rapport Draghi, publié en août 2024, a marqué les esprits en chiffrant l’ampleur des besoins : 750 à 800 milliards d’euros par an d’ici 2030.
Alors, comment financer ces besoins ? Si le financement de la défense demeure un sujet sensible et très ouvert, l’Europe tente d’apporter une première réponse s’agissant de l’investissement dans son tissu d’entreprises. Ainsi, le 18 mars dernier, la Commission a dévoilé la stratégie de l’Union Européenne dans les domaines de l’épargne et de l’investissement (SIU - Saving & Investments Union).
La véritable question n’est pas tant celle du financement que celle de l’orientation de l’épargne.
Il s’agit de mieux canaliser les produits d’épargne pour soutenir les secteurs prioritaires. L’enjeu est de faire un premier pas décisif : faciliter l’accès aux marchés financiers et proposer de nouveaux produits dédiés au financement des entreprises. Avec plus de 30 000 milliards d’euros d’épargne, l’Europe dispose déjà d’une force considérable à mobiliser.
Ainsi, afin de répondre à ce besoin d’affectation optimisée, qui n’a rien de nouveau mais devient maintenant plus pressant, la Commission a défini quatre axes de travail prioritaires pour renforcer l’efficacité des acteurs de l’épargne :
- Permettre aux épargnants d’orienter plus facilement leur épargne vers les instruments des marché financiers
- Renforcer l'accès à l’épargne pour toutes les entreprises, notamment les Petites et Moyennes Entreprises
- Permettre le développement des offres d’épargne transfrontalière, en réduisant les obstacles réglementaires, notamment pour la gestion d’actifs et la distribution de fonds.
- Réaffecter les compétences en matière de surveillance au niveau européen pour que tous les acteurs des marchés financiers bénéficient d'un traitement identique.
La mise en œuvre de la SIU reposera sur un ensemble de textes, législatifs et non législatifs, développés au niveau européen ou par les États membres eux-mêmes.
D’un point de vue pratique : à quoi s’attendre dans les années à venir ?
Avant même la SIU, l’Europe avait lancé un chantier clé : la réforme de la titrisation. Cette technique permet aux banques de céder des actifs (prêts, créances) pour libérer de la capacité de crédit – un levier essentiel pour renforcer le financement de l’économie. Alors que la titrisation progresse aux États-Unis, elle recule en Europe, freinée par une réglementation trop rigide et des exigences en fonds propres élevées (CRR3/CRD6). La Commission européenne a intégré ce sujet dans les priorités de la SIU, avec une proposition de simplification attendue prochainement : une première avancée concrète vers une meilleure mobilisation de l’épargne en Europe.
Au-delà de la titrisation, les pistes sur la table sont multiples et très ambitieuses. Une première étape consistera donc à définir les priorités, pour éviter une dispersion des initiatives. En France, l’AMF a identifié deux sujets prioritaires qui soulèvent de nombreuses interrogations :
1. Favoriser l’investissement des particuliers dans l’économie européenne
En France, l’offre de produits d’épargne reste trop peu orientée vers le financement des entreprises. Mais la question reste ouverte : quelles entreprises cibler en priorité, et via quels supports ? Faut-il favoriser les PME ? Et dans ce cas, l’accès aux marchés financiers est-il réellement adapté ? Une réflexion s’impose pour repenser les produits d’épargne, tout en tenant compte d’une autre priorité européenne : le financement de la Défense. Comment articuler ces nouveaux produits avec ceux envisagés pour ce secteur stratégique ? Un défi supplémentaire dans un paysage déjà complexe.
2. Renforcer la supervision européenne
La fragmentation actuelle du paysage bancaire et financier en Europe complique la construction d’un véritable marché unique. Comment passer d’un environnement multi-supervisé à une régulation plus intégrée à l’échelle européenne ?
Un des leviers identifiés est la consolidation de la surveillance des marchés boursiers. Aujourd’hui, la régulation repose sur une répartition des rôles entre les autorités nationales (comme l’AMF en France) et européennes (l’ESMA - European Securities and Markets Authority). Mais cette répartition devra évoluer : un transfert progressif de certaines responsabilités de supervision vers l’ESMA est désormais à l’agenda européen.
Ce chantier est une priorité. Sans harmonisation de la surveillance, la SIU ne pourra pas se concrétiser. Un bon exemple de cet enjeu est la mise en place du T+1, prévue en octobre 2027 sur l’ensemble des transactions boursières. Ce changement technique nécessite une coordination parfaite entre 34 dépositaires centraux et 14 chambres de compensation en Europe, tous supervisés localement. Un défi similaire dès lors que l’on parle de produits d’épargne et d’investissement.
Des défis nombreux à adresser et prioriser
Ces deux priorités ne constituent qu’une première approche des actions à venir : lors de la consultation menée en février 2025, la Commission Européenne a reçu pas moins de 241 réponses, provenant aussi bien des régulateurs que des établissements concernés. Autant de priorités possibles face aux défis nombreux qui émergent sur le sujet :
- Améliorer la connaissance des marchés par les investisseurs privés
- Faciliter l’accès aux marchés financiers pour les particuliers
- Stimuler la participation aux marchés financiers au travers de nouveaux produits d’épargne avec potentiel lancement de produits européens
- Définir un traitement fiscal adéquat
- Faciliter le développement des fonds de pension comme produits d’épargne...
- Relation repensée avec les autorités de supervision
La construction d’une véritable Union européenne de l’épargne et de l’investissement ne fait que commencer. Si les premières pierres sont posées, les prochaines étapes s’annoncent décisives… et complexes. Pour les acteurs financiers, la capacité à anticiper, s’adapter rapidement et mettre en œuvre les nouvelles exigences réglementaires sera un facteur clé de succès.
Sopra Steria s’engage pleinement aux côtés des établissements pour les accompagner dans cette transformation. Forts de notre veille active et de notre expertise, nous aidons nos clients à construire leur feuille de route réglementaire, en lien avec leurs enjeux métiers et stratégiques. Acteur engagé, nous participons activement aux groupes de travail européens, comme Digital Europe, dont les travaux – et notamment le prochain position paper – alimenteront les grandes orientations de demain.
Face à ces ambitions européennes, Sopra Steria se positionne comme un partenaire stratégique et engagé.